Mais sinon, il faut s'attendre souvent à partir tout seul. Un peu comme un pêcheur qui part dans le Nord pendant une fin de semaine, l'ornithologue qui veut cocher ses oiseaux est un solitaire. Il arrive à l'occasion de rencontrer d'autres observateurs, sur le terrain, qui sont sans doute tous aussi solitaires que j'ai pu l'être. On fait alors un petit brin de causette, on peut même faire un petit bout de chemin ensemble. Mais c'est pas la même chose que d'observer avec la personne avec qui on partage sa vie.
Donc, sans que ça brise un ménage, on se sent parfois seul. Il m'est arrivé à l'occasion de voir des oiseaux et d'avoir tellement envie de raconter à l'autre ce que j'ai vu, ou ce que j'aurais aimé lui montrer... "Tu penses juste aux oiseaux!!" est la réponse qu'on ne veut pas entendre. Il y a d'autres moments où c'est justement notre âme-sœur qui a déniché l'oiseau qu'on cherchait, lors d'une promenade, ou un autre oiseau qui ne figurait pas encore dans ma liste. C'est ça qui est arrivé quand Yin Choy et moi-même sommes allés à la réserve Marguerite-d'Youville à Châteauguay et que c'est lui qui a trouvé l'Ibis falcinelle que je cherchais.
Ce qui fait justement qu'une fois passé le 31 décembre, je me suis senti comme libéré. Délivré de cette folle envie de me précipiter à voir un oiseau ou encore de cette culpabilité de ne pas aller le voir. Quand est arrivé le 1er janvier, je n'avais plus du tout envie de voir une liste devant moi. Même eBird ne me séduisait plus. Je n'avais plus envie de le consulter pour voir les oiseaux que les autres personnes ont vus. C'était comme avoir trop mangé et avoir mal au cœur à la simple vue d'une tranche de pain. Ou d'un morceau de chocolat. Ou d'un verre d'eau, tiens.
J'ai toujours envie d'observer les oiseaux, comprenez bien. Je regarde toujours les mésanges et le cardinal qui viennent se nourrir à ma mangeoire, je suis toujours en extase quand j'attends le train et qu'un Grand Pic passe dans mon champ de vision. Encore une fois cet après-midi, alors que je rentrais en train et qu'on passait à Sainte-Anne-de-Bellevue, je n'ai pas pu m'empêcher de suivre des yeux cette Buse à queue rousse qui faisait le guet dans un arbre près de la voie ferrée.
Mais la course aux oiseaux, la planification des itinéraires, le fait de surveiller mes kilomètres comme si j'étais à la diète sévère? J'ai presque envie de dire Beurk! Avec un sourire bien sûr! Parce que je compte bien recommencer l'expérience un jour mais pas cette année.
Il y a quand même une chose qui m'a ouvert les yeux en faisant cet exercice. Pas vraiment besoin d'aller très loin pour voir des oiseaux. J'ai fait la connaissance de pleins de beaux sites près de chez moi alors que j'avais l'habitude d'aller dans le Haut-Richelieu pour voir des oiseaux. Je ne dis pas que je coupe les ponts (quoique c'est parfois littéralement ce qui arrive!!). Mais je vais sans doute m'astreindre à observer plus près de chez moi et réduire ma consommation d'essence.
Je ressens quand même beaucoup de fierté après avoir accompli cette course. Je me suis surpassé moi-même en accumulant 220 espèces sur le territoire de la Montérégie et de Montréal. C'est quand même un bel exploit! Je pense qu'avant, ma meilleure année était de 213 et c'était parce que j'étais allé en Gaspésie, ou sur la Côte-Nord, ou dans les Laurentides.
Un bon jour, ou une bonne année, j'irai le chercher mon objectif de 240. Je ne sais pas trop pourquoi ce nombre, mais je sais maintenant qu'il est possible. 240, c'est aussi le numéro civique où j'habite... il doit y avoir un lien quelque part ;)